4 février 2021 - Caussade
20 janvier 2021 - Thines
27 novembre - Thines
4 novembre 2020 - Thines
25 septembre 2020 - Maintenon
Jusqu'ici, je m'étais plu à me dire que je ne retournerais jamais plus à Paris, la dernière en date provenant de mon déménagement de Louvain-La-Neuve vers plus-nulle-part-&-partout-aussi. C'était sans compter les aléas, logiques et en quelque sorte prévisibles. N'ayant quasiment plus de compte en banque, je possédais un peu de franc suisse. Le but était de s'affranchir de l'euro, pour ainsi dire en faillite. Les changer, ne serait-ce que pour pouvoir engager quelques courses (je ne suis pas encore autonome à cent pour cent) ont signifié Paris centre.
Lorsque le train approcha, sur le long promontoire dénudé de Meudon, au loin j'aperçus les hautes tours de La Défense, la marée noire d'urbanisation, la stagnation de la pollution. J'eus l'impression d'arriver devant Chornobyl, le premier jour après l'explosion. Un peu plus que de l'appréhension, limite de la terreur légère et insidieuse. Rien qu'en arrivant devant la gare de Maintenon, du genre quatre mille habitants, je trouvais la dépense d'énergie folle. Les lampadaires innombrables, le panneau d'information, la machine à tickets, les voitures omniprésentes, l'océan de macadam, les autobus qui tournent en attendant même-plus-quelqu'un, les trains défilant à une cadence radicale. L'humain est perdu. C'est fort. Le décalage saute aux yeux désormais.
Malgré que, ces jours-ci, je fasse des récoltes amples [en terrain crayeux, j'en profite pour collecter des plantes que je ne trouve pas en mon pays granitique] je n'ai plus qu'une seule idée en tête : rentrer, m'isoler, ne plus voir les foules, le béton, les masques ; foule-folie, ça résonne.
Malgré tout c'est l'éclate. Il suffit de s'écarter dans les bois pour trouver de belles récoltes de comestibles. Cependant ce qui m'a choqué ici, dès l'arrivée, c'est qu'il n'y a pas d'animaux. A Thines, on mouline avec les bras pour écarter les insectes, qui à ce titre élisent domicile dans la maison sans le moindre titre de propriété ! Les oiseaux, les mammifères (l'écureuil fout une de ces pagailles en ce moment !) : ici, rien, ou disons, presque.
Avec mon frère, nous avons collecté du houblon. C'est un sauvage, et curieusement pourtant, il est aromatique et floral, pas du tout amérisant (serait-ce un cascade ? C'est probable). Les lianes forment des bosquets énormes, nous avons puisé un volume avoisinant un gros sac.
Sur le chemin du retour, la gendarmerie passa banalement. Quelques centaines de mètres plus loin, ils firent demi-tour et vinrent nous contrôler. Mais qu'est-ce donc que ça ? La démarche n'est pas agressive, plus menée par une curiosité, peut-être un manque d'habitude. Ils sont repartis comme ils sont venus, au gré d'une bien curieuse délinquance.
S'ils prenaient mon téléphone et qu'ils en assuraient un contrôle, ils ne trouveraient que des photos de bouffe ! A part quelques paysages envoutants, quelquefois des plantes qualifiables de magiques ou l'un ou l'autre insecte délirant, il n'y a plus que ça : nourriture ! C'est dire, en fin de compte, autour de quoi les centres d'intérêt gravitent et l'incommodité de mener une discussion vaguement normale avec une personne vaguement normale. Je me sens seul.
C'est bien aussi. Parfois.
Arrivé à Maintenon, reparti de Maintenon, une semaine non pas vacante, mais curieusement excentrée. Je suis retourné à l'endroit auto-nommé "la veille de mon départ", ça fait un peu plus d'un an désormais. Dans l'Eure, j'y ai fait vraisemblablement la dernière baignade de l'année. Une grenouille verte curieuse me regardait me laver (que je vous rassure, sans le moindre produit).
A la maison, c'est stable. L'eau n'est pas potable, tellement elle est emplie de nitrates, de rémanence de pesticide, de chlore. Alors, au quotidien c'est le défilé de bouteilles en plastique. La télé ronronne, en micro-agression pour ainsi dire permanente. Cela fait quatre-vingt fois peut-être que j'encaisse la petite musique entêtante de la pub, la nouvelle box SFR. Désormais la télévision assène une belle quantité de fausse écologie. Avec mon frère nous avons compté ; il s'agit d'une dose avoisinant un quart à un tiers du contenu. J'appelle ça les fauxcolo. Comme l'hélicologie, la pétroécologie, Nicolas Hulot probablement, chef de file d'une nausée, gerbe acide au bord des lèvres.
Des gens qui pensent que les petits gestes sont suffisants, ils parlent zéro déchet et d'aller en vélo au travail ; les parisiens quelquefois, c'est mieux que rien, ce n'est pas assez, sans mépris pourtant, je ne m'en octroie pas la vanité. C'est un modèle de société qui s'effondre à toute vitesse, le rêve des années soixante, un échec quelquefois, devant la longue haie de laurier rose ou de thuya, cerclant la zone pavillonnaire : les gens ne se disent pas bonjour, les voisins ne m'ont pas dit bonjour. Ici en bassin parisien, personne ne ramasse l'ache des marais et je le comprends, personne ne ramasse ni les noix ni les noisettes ni les pommes. Je ne comprends plus. Le regard posé sur le collège juste à coté, les mômes dans une cour aseptisée ultrabétonnée, quel sera leur avenir ? Il ne faut pas y penser trop fort, la mélancolie n'est pas éloignée. Je fais ma part.
Si j'ai bien un objectif désormais, c'est de ne plus rouler. C'est le dernier bastion. Pour l'instant toutes les diminutions drastiques sont des succès, alors il faut rêver à un champ de possible. A mon retour, je ne roulerai plus, (j'étais déjà fort satisfait de retrouver Marguerite Deux, mon véhicule, rempli de toiles d'araignées après le confinement !).
Des rappeurs passent en courant / Au loin, les annonces de la SNCF / Un gars promène le chien / Le voisin sort le souffleur pour virer les feuilles. Je ramasse les glands de chêne pédonculé. Dans le pays de mes parents, dès qu'il y a un coup de vent, ça fait Bonk / Klang / Kabong ! Ca tombe de partout sur les automobiles, les toitures, les terrasses. C'est marrant. Mes mains parcourent les plus gros, les bombes que je me dis en murmurant. Une petite fille demande à sa maman : pourquoi il ramasse le monsieur ? Elle ne sait pas, elle ne dit pas bonjour et presse le pas. Ce sont des mondes qui s'affrontent. En vérité non même pas. Les gens s'en foutent. Ils s'enferment dans une tyrannie, une dictature de la normalité. C'est triste pour eux. J'en ai plus pour moi, encore que les chênes produisent des centaines de kilos. Alors ? Plus rien ne peut en importer. Comme eux, je ne dévierai plus de ma trajectoire.
Cette courte citation de Leonard Cohen permet de tracer une ultime ligne, comme une corde à suivre dans les méandres noirs d'une grotte : And clenching your fist for the ones like us, who are oppressed by the figures of beauty, you fixed yourself, you said : well nevermind, we are ugly but we have the music. Cela se traduit par : Serrer les poings pour ceux qui comme nous sont opprimés par les figures de la beauté, tu t'es réparé toi-même et tu t'es dit : et bien, nous sommes moches mais nous avons la musique.
Puissions-nous simplement remplacer le mot musique par les plantes. En réalité, cela clôture à souhait ce séjour à Maintenon. Dans quelques heures, je serai dans la cour de la ferme.